• Attentat à la bombe (de peinture) ?

    Ces derniers jours, j'ai pu voir le système judiciaire belge à l'oeuvre, et ce n'est pas très réjouissant. 

    Commençons par un petit rappel des faits. 

    Depuis quelques années, le Palais de Justice de Bruxelles est en rénovation. C'est un bâtiment impressionnant, datant de 1860, plus grand que la Basilique Saint-Pierre à Rome, construit par Joseph Poelart et inauguré après la mort de ce dernier (je ne peux me retenir de préciser qu'une grande partie des fonds nécessaires à la production de cet édifice a été trouvée grâce à l'esclavage du Congo belge. Yay). 

    Palais de Justice de Bruxelles

    Pour en revenir à sa rénovation, vous remarquez sur l'image que le bâtiment est surplombé par une coupole, qui fut dans les premières parts de l'immeuble à être rénovées. Et, dans les jours qui suivirent sa rénovation, un mystérieux tagueur a été y inscrire un graffiti "IDEAHOT"

    Graffiti sur le Palais de Justice

    Acte répréhensible, lamentable, stupide. Mais le tagueur s'en est sorti pendant longtemps, étant donné qu'on a jamais réussi à l'attraper, jusqu'à la semaine passée, et il est actuellement en détention préventive. La Chambre du Conseil vient de confirmer sa détention pour un mois. 

    Quel est le problème ? 

    La détention préventive est une mesure qui sert à maintenir en détention des personnes qui doivent être jugées prochainement. Ces personnes sont celles qui risquent de quitter le territoire ou de causer des dommages en étant en liberté. La compensation de cette mesure se fait dans l'exécution de la peine ; par exemple, si un homme (ou une femme) est mis en détention préventive trois mois et ensuite est condamnée à six mois de prison, il (ou elle) devra purger seulement trois mois de prison. 

    Quelles sont les conditions pour prononcer une détention préventive ? 

    1) Il faut que la peine puisse atteindre un an d'emprisonnement.

    Donc, le maximum de la peine déterminée pour l'infraction doit être d'un an minimum. Je ne dispose pas des informations suffisantes pour dire si cette condition est respectée. La loi qui pénalise le graffiti (loi du 25 juin 2007) prévoit un mois à six mois d'emprisonnement (plus une peine d'amende). Mais elle prévoit aussi un allongement jusqu'à un an d'emprisonnement si le délinquant a été condamné pour dégradation ou graffiti dans les cinq ans. Il y a donc une incertitude : si le tagueur n'a pas été condamné au cours des cinq dernières années, la détention préventive est alors illégale. De plus, bien des délinquants risquant des peines bien plus lourdes ne sont pas mis en détention préventive, par manque de place. 

    2) Il faut prouver l'existence d'indices sérieux de culpabilité.

    Dans ce cas-là, pas de soucis, le tagueur est en aveux. 

    3) La détention préventive ne peut constituer une répression immédiate ou toute autre forme de contrainte.

    Pour cette condition, il est très difficile de ne pas penser qu'il ne s'agit pas d'une forme de répression immédiate. Il est aussi difficile de prouver que les motifs de détention sont différents de ceux dictés dans le mandat d'arrêt. Mais dans ce cas : c'est le lieu de travail même du juge d'instruction qui s'est vu détérioré ; le cas est fort médiatisé, ce qui tend à faire penser que le juge d'instruction a voulu "faire un exemple". 

    4) L'absolue nécessité pour la sécurité publique

    Sérieusement, qui pourrait penser qu'un tagueur sur qui une peine de six mois ou un an de prison et de 156 à 1200 euros d'amende, en plus du remboursement des réparations (20.000 euros) serait assez stupide pour recommencer ? Et encore faudrait-il que l'on considère qu'un graffiti est une menace contre la sécurité publique. Et serait-il scandaleux que quelqu'un puisse être en liberté avant un procès pour une telle infraction ?

    L'infraction que constitue le graffiti est également soumise à d'autres conditions en matière de détention préventive, puisque la loi belge prévoit des conditions supplémentaires pour les peines en-dessous de 15 ans de réclusion :

    1) Le danger de récidive.

    Comme je l'ai dit plus haut, quel est le danger de récidive ? Est-il plus grand que celui d'un arracheur de sac qui est beaucoup plus susceptible de recommencer ?

    2) La crainte de fuite.

    Le risque de fuite hors du territoire belge, pour quelqu'un domicilié, bénéficiant d'un revenu en Belgique (ce qui est le cas de notre tagueur) est beaucoup plus élevé que celui de nombre de délinquants non-résidents en Belgique. Et pour cela, la détention préventive pour cet homme est injustifiée.

    3) Le risque de collusion (accord) avec des tiers ou de disparition des preuves

    L'enquête à propos d'un éventuel complice est en cours, et pour ce qui est de la disparition des preuves, le tagueur est en aveux... Cela semble un peu léger comme critère, dans ce cas. 

    J'émets des doutes quant à la légalité de la détention préventive, mais je ne me prononce pas sur la question, ne disposant pas des informations nécessaires. Par contre, je crains fort une partialité certaine pour les différentes raisons (je synthétise ici les griefs mentionnés plus haut) :

    • L'infraction est punie d'un maximum d'un an de prison en cas de récidive, alors que pour plus grave, on ne prend pas cette mesure.
    • La détention requiert une nécessité de la sécurité publique, alors qu'on ne met pas des individus bien plus dangereux en détention préventive.
    • L'infraction est dirigée contre le Palais de Justice, ce qui tend à faire croire qu'il s'agit d'une vengeance "personnelle".
    • Est-il nécessaire de mettre en détention quelqu'un qui non seulement a avoué, mais en plus ne présente que peu de risques de s'enfuir de Belgique ?

    Pour cela, je soupçonne les juridictions d'instruction de partialité. 

    Pourquoi fais-je un article sur le blog à propos de cette affaire, qui somme toute n'est pas si importante, et ne me touche pas personnellement ? Parce que pour moi la Justice ne doit pas faire de différences entre les infractions qui touchent ses institutions et celles qui touchent Monsieur Tout-le-monde. Pour moi même quelqu'un qui commet un acte aussi lamentable que de taguer le Palais de Justice a le droit d'être traité avec les mêmes égards que n'importe qui, et j'espère même personnellement que la punition sera à la hauteur de l'infraction. Mais la Justice doit être juste.

    Sources ; M.-A. BEERNAERT et autres, Introduction à la procédure pénale, Bruxelles, La Charte, 2011, passim.
    http://www.secunews.be/fr/news.asp?ID=376 
    http://www.7sur7.be/7s7/fr/1502/Belgique/article/detail/1518688/2012/10/17/Le-tagueur-du-Palais-de-justice-arrete.dhtml 

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  • Commentaires

    1
    Ay
    Dimanche 21 Octobre 2012 à 23:27

    T'es vraiment beau et intelligent.

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    2
    Lundi 22 Octobre 2012 à 10:20

    Et costaud !



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