• La douleur du retour.

    Je n'ai pas la nostalgie d'une époque passée. Il faut nuancer. Je pense que certaines choses étaient mieux avant, avant cette course à l'infini, ce marathon illimité et absurde, cet appel à dépasser les limites de manière abusive. Je suis convaincu que le système d'enseignement actuel en Belgique est catastrophique, mais je ne veux pas qu'il soit exactement comme avant. Nous poussons les gens à s'adapter à un rythme imposé, sans prendre en compte la dimension éthique de notre société. Nous ne pouvons pas nous positionner dans les débats qui nous occupent (au niveau communautaire, au niveau économique, à tous les niveaux) en termes de bien ou de mal.

    Arrêtons d'argumenter de manière polaire. On peut dire que tel comportement est bien, cela n'empêchera pas quelqu'un d'autre de qualifier cette action de mauvaise. Qui a raison ? Cela a peu d'importance, parce que le débat est stérile, et on finit par dire que tout le monde a raison, comme pour une dispute de gamins. Nous visons des buts, qui sont dictés par des idéaux. Des idéaux qui doivent être pensés, des principes qui doivent selon la formule de Kant être érigés en maximes universelles. Une fois ces réflexions faites, nous les confrontons avec celles des autres, car il n'y a de morale qui ne se pense pas à plusieurs. Nous devons nous assurer qu'un maximum de gens aient cette philosophie de la pensée première...

    Pourquoi cette pensée est-elle si importante à mes yeux ? Parce qu'après l'avoir eue, on se rend compte que peu de comportements peuvent être dressés en étendard d'une valeur universelle et que peu de valeurs sont universelles, peut-être même n'y en a-t-il aucune qui ne le soit.

    Pourquoi je parle de cela ? Parce que beaucoup pensent que quand je parle de retour en arrière, c'est par une nostalgie aveugle qui se veut rester à l'époque de la bougie. Or ce n'est pas cela. Ce n'est pas le cas pour grand nombre de ceux que l'on nomme nostalgiques. Alors, quelle est ma position, si je désire un retour en arrière ? Je suis partisan de cette "régression" (encore faudrait-il prouver qu'il y a eu progression) pour amorcer ensuite une nouvelle évolution. Les nostalgiques sont ceux qui pensent que nous avons fait un mauvais choix quand une alternative se posait. Maintenant, peut-on dire que ceux qui pestent contre le monde tel qu'il est perdent leur temps ? Peut-on dire que l'on doit vivre en paix avec son époque et être un homme de son temps ? Non, résolument non, parce que cette nostalgie, et j'emploie ici ce mot comme il était pris à son invention par Homère, c'est-à-dire comme une douleur d'un retour qui se fait attendre (parfois presque) éternellement, parce que cette nostalgie, donc, est ce qui permet de ne pas agir dans l'hubris, dans la démesure d'un progrès galopant et furieux. Celui qui se laisse aller à dénigrer le passé, celui-là se met des œillères. Celui qui se moque du futur en ne regrettant qu'un passé qu'il n'a sans doute pas connu est aveugle. Celui qui pense le monde, qui prend le passé comme une époque ou le choix était encore libre pour telle ou telle situation, celui qui refait le monde, celui qui trouve ainsi ce qui a raté pour lui dans l'évolution de notre univers, celui-là est libre et capable de penser la vie, non en termes de bien ou de mal, mais en terme de bon.

    Je prendrai comme exemple Nietzsche. Il a étudié les Grecs, a pensé leur époque et a trouvé, selon lui, et je le rejoins sur ce point, le moment ou les hommes ont commencé à perdre de leur superbe ; dès que la tragédie a cessé d'être la principale éducatrice des hommes. Je ne rentrerai pas dans l'historique de la philosophie des Grecs jusqu'à Nietzsche, mais le raisonnement de Nietzsche est intéressant ; à partir du passé, il a critiqué le présent, prévu le futur et proposé des philosophies différentes. Nous pensons trop à partir de la morale, du bien absolu, nous évitons le difficile en nous en remettant à la sécurité. Mais cette sécurité est néfaste parce qu'elle est mal pensée et perverse. Nous pensons la démocratie en ne donnant pas à tous les outils pour appréhender cette démocratie. Nous pensons l'égalité sans veiller à élever ceux qui sont au plus bas. Nous pensons un bilan positif sans nous soucier de ce qui se cache derrière les chiffres.

    Je ne désire pas le passé. Je désire la pensée d'un autre présent, d'un autre présent possible, que l'on ne peut penser que par l'uchronie, par un nouveau départ. Et en cela celui qui refait le monde en pilier de taverne est plus libre que celui qui reste lié par une vie coincée dans le présent.

    La nostalgie n'est pas comme nombre le pensent le désir du retour pour le retour. Ulysse a la nostalgie d'Ithaque car il veut construire sa vie là ou il l'a laissée, car il est amputé de tout ce qu'il avait. Le nostalgique est amputé d'un choix, d'un schéma de vie différent. Ulysse sait que le retour sera difficile et qu'il devra se battre pour rétablir les choses dans son royaume. Mais il ne baisse pas les bras parce qu'il est loin de chez lui. Le nostalgique ne doit pas non plus baisser les bras parce que sa vision du monde est éloignée de ce que le monde est. Ulysse rentre à Ithaque, le nostalgique rend à son monde la valeur qu'il lui estime en y travaillant. Je vois le monde plein de gens éveillés. Il n'était sans doute pas plus éveillé avant, mais peut-être l'était-il, c'est en tout cas l'image qu'il me renvoie de tout ce que j'en ai appris. Et j'ai la douleur d'un monde qui aurait pu s'épanouir, ou tout le monde était assez vivant pour se penser.

    Je me sens étrangement optimiste d'écrire cela. Je me sens plein d'un amour profond pour ceux qui se disent qu'il vaut la peine de s'engager pour quelque chose, qu'il faut changer le monde pour y apporter la paix et la lumière dans l'esprit de tous. Non pas que je me sente moi-même illuminé, mais je cherche la pensée qui me guidera, et à cet instant je suis cette pensée qu'il faut apprendre à penser, pour rendre notre environnement, dans toutes ses dimensions, meilleur.

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