• Le Portraitiste : Partie 1

    Voici une nouvelle sur laquelle je travaille encore à l'instant. La première partie est finalisée, je posterai les suivantes au fur et à mesure de leur achèvement. Bonne lecture !

    Rares les ateliers comme celui du jeune Sombreval. Le garçon y passait le plus clair de son temps, quand il ne lisait pas au clair du blanc du ciel sous les arbres du Mont des Arts ou sur les bancs du Parc Royal. Sur un plancher bardé d'échardes, des papiers s'accumulaient, tapis blanchâtre, et à l'orage, une bassine recueillait la pluie filtrant par les carreaux d'un œil-de-bœuf, qui ne fermait jamais vraiment. La pièce, aménagée dans des combles vétustes. Lieu de rencontre pour tous les vents de Bruxelles.

    Un gigantesque drap étendait sa blancheur tout au fond de la pièce,un long corps de coton bavant sur le plancher, secoué par le vent quand le vent tempêtait. Les feuilles s'envolaient les jours de mauvais temps, et toujours l'une ou l'autre finissait sa course au creux de la bassine dessous l’œil-de-bœuf.

    Sombreval sommeillait dans un coin de la pièce, habillé de la veille, les cheveux encor gras, la respiration lourde : la nuit fut arrosée. Lorsqu'il revenait ivre, il allait se blottir dans l'amas de brouillons jonchant le plancher dur de l'atelier venteux. Souffles et sifflements apaisaient ses nausées. Son trait fin et tiré, la nuit n'apportant pas sa dose de sommeil, se crispa un instant, et ses yeux s'entrouvrirent. Il état encore tôt. Il se leva, ouvrit la trappe qui donnait sur le couloir de son logis

    Il descendit sans la fermer, et on pouvait entendre le son d'une douche. Le soleil transperçait à la fois les nuages et plus péniblement l’œil-de-bœuf mal tenu. On pouvait embrasser des yeux le Parc Royal, ses fontaines, ses arbres mutilés, rangés entre eux dans un motif voulu neutre et pourtant bien trop artificiel. Ses parents soucieux qui y amènent leurs gosses. Ses couples qui y passent leur innocence à s'embrasser sur les bancs ou à baiser dans les buissons. Ses dealers. Sa vie. Son vide. La douche avait cessé. Deux minutes plus tard, Sombreval se hissa dans l'atelier, tenant des biscuits à la main. En grignotant, il prépara son matériel. Le modèle allait arriver. 

    Pour un portraitiste, ce Sombreval jouissait encore d'un bon renom, enfin pour le rare amateur du genre, réputation aussi étonnante que son matériel était simple. Pas de gouache, ni d'aquarelle, aucune couleur. Pas de brosse ni de pinceaux, rien pour la texture. Pas d'Océdar, aucun support, rien qu'une toile. Pour la remplir, rien qu'une plume d'oie neigeuse maculée de noir. Un encrier ornait une petite table.

    Sombreval apposa la plume à l'encrier, monta le chevalet en face du grand drap. Sa renommée venait moins de la qualité des toiles que de la technique utilisée pour dépeindre un modèle. Ce n'est pas qu'il peignait à proprement parler, mais ses toiles étaient le support de poèmes à la lecture desquels on ne pouvait que voir le reflet du modèle. Fantomatique, il survenait au spectateur pris par le vers.

    Et Sombreval, dans l'atelier, était une encre volatile : il s'installait, de noir vêtu et libérait sa poésie. Il voletait dans l'atelier sur ses projets, y ajustant un vers, grattant l'alexandrin, et bannissait les mots mauvais d'une rature.

    Plus bas, une sonnette retentit. Le modèle. Sombreval questionna le potentiel du jour. Son travail provoquait la curiosité, particulièrement par celles qui posaient sous l'objectif des photographes. L'originalité de son œuvre piquait l'intérêt de ce public. De plus en plus de jeunes femmes contactaient Sombreval, avec l'espoir d'être dépeintes dans ces toiles atypiques.

    Et Sombreval aurait voulu pouvoir gérer tous ces désirs, mais il fallait payer les toiles, et si aucun amateur d'art ne contestait son don étrange, il se trouvait peu de lecteurs ayant envie de parcourir les longs poèmes sur les toiles exposées, triste paresse. Peu de modèles rachetaient le tableau une fois le point final posé. Si peu posaient gratuitement, on ne pouvait attendre un achat de la toile. Il se décida enfin à descendre pour ouvrir au modèle, laissant la pièce vide.


    Partie 2 ici.

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