• Portrait du métro de Bruxelles.

    Extrait d'une prochaine nouvelle (peut-être un roman mais ne présumons pas)

    S'il existait un type de lieu que les habitants de Bruxelles connaissaient tous, dans ce fouillis architectural et social que présentait la ville, c'était les stations. Ce mot, qui se reprenait tel quel en flamand pour désigner une gare, prenait toute l'ampleur de son étymologie dans Bruxelles, comme dans beaucoup d'autres villes, aurait-on pu dire, car on attendait debout le bus, le tram, le métro ou le train. Il n'y avait pas souvent de bancs pour accueillir les voyageurs fatigués, parce que l'arrêt était construit sur un trop peu de place, de telle manière qu'il ne se composait parfois que d'un poteau indiquant le nom de l'arrêt et l'horaire de passage du tram ou du bus, que l'on avait incrusté dans le trottoir sans en ménager les pavés que l'on ne remettait en place que bien plus tard, ou parce que le banc en question était en piteux état, tellement qu'il valait mieux rester planté sur ses jambes plutôt que de se risquer à s'asseoir. Quant aux stations de métro ou de train, il existait de multiples raisons de ne pas poser le séant sur ces sièges. On pouvait d'abord et dans la majorité des cas ne pas vouloir mettre sa vie ou sa santé en jeu pour avoir eu l'audace de se reposer sur une rangée de trônes en plastique cassés, ou on n'avait guère envie de côtoyer une flaque de vomissures assez récentes, ou encore on refusait de s'asseoir à côté de l'auteur de l'attentat susnommé, encore occupé au crime. On pouvait aussi ne pas apprécier la personne déjà installée sur le siège adjacent, pour des motifs d'esthétisme, car à cette époque on se permettait de juger au physique ou à la confiance qu'inspirait une personne pour l'approcher d'un peu plus près. Inutile de disserter sur la frustration que pouvait représenter une heure de pointe où quatre personnes pouvaient se retrouver dans le même mètre carré. Inutile de dire aussi que ces personnes redoutaient toutes la vision d'un métro japonais, qui mêlait efficacité et rapidité, mais compressait tellement ses passagers qu'on eût pu en tirer du jus, la masse docile et compacte étant encore plus serrée quand les accompagnateurs de métro, métier intéressant au pays du Soleil levant, devait appuyer les passagers les plus extérieurs de la rame pour que tout le monde tienne avant la fermeture des portes. A Bruxelles, il ne fallait pas s'attendre à une telle optimisation de l'usage de l'espace disponible, parce que les gens avaient beaucoup moins de tenue, et surtout parce que la sphère vitale du Bruxellois moyen était une institution sacrée dans le quotidien. La masse des gens révélait très vite et très souvent des individus épars, sortis de leur milieu pour user d'un service qui n'avait jamais aussi bien porté son nom ; les transports en commun. On y retrouvait beaucoup de personnes âgées, mais aussi beaucoup de familles entières, avec un florilège de poussettes, de gamins braillards, de parents apparemment sourds, puisque le vacarme perpétré par leur progéniture ne semblait pas les déranger, de pères seuls avec leur enfant avec qui ils commençaient souvent des discussions sur l'école, les autres élèves dans la classe dudit enfant, en bref tous les sujets qu'il est adorable à l'âge ou l'élocution du petit se fait encore un peu traînante, de mères musulmanes qui parlaient de sujets autrement plus graves avec leurs filles, parfois avec leurs fils, de petits mendiants qui passaient entre les voyageurs tandis que les adultes jouaient d'un accordéon primaire ces mélodies sur lesquelles on n'arrive rarement à mettre un nom et qui pour qui les reconnaît blessent le cœur d'être jouées sur un instrument qui ne leur convient pas du tout ; on pouvait voir certaines personnes grommeler à l'écoute de la version flûte de Pan ou accordéon de la lettre à Élise, si vous possédez un synthétiseur et que vous avez un don pour la musique, jouez donc votre morceau préféré en réglant l'instrument de manière à ce que la version finale soit un calvaire pour les oreilles ; et enfin on voyait des individus pour le moins étranges, des illuminés, des fous, peu importe comment on les appelait, le malaise provoqué par leur présence exubérante restait souvent quelques temps après qu'ils étaient sortis. Ils hurlaient, d'un seul coup, chantaient à tue-tête des chansons qui politiquement auraient trouvé leur place dans les années 1940 et quelques, jetaient leur téléphone portable en criant, s'accrochaient aux barres de soutien en psalmodiant des messages évangéliques. On ne savait si ces pauvres hères étaient vraiment fous, mentalement instables, psychologiquement fragiles, ou s'amusaient aux dépens de la tranquillité du voyage. Il y avait aussi souvent quelque femme rentrant des grandes courses et laissant ses sacs pleins d'achats, si possible odorants, avant d'aller s'asseoir dans un des boxes, dans le passage des portes coulissantes, et à ce moment le plus démuni ou le plus ivre du wagon venait inspecter le contenu du cabas accompagnant les sacs, provoquant au mieux une simple réprimande.

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