• Guide-moi à ton souffle à celui des étoiles
    Je me veux sous ton cou à ta gorge d'argent
    Sur les lacs de saphir dans les cieux de vermeil
    Délicate invasion des rayons du soleil
    Je te veux reposée sur mon cœur surpuissant
    Délassée au lever de ce jour vert opale

    Je sais qu'il est tard
    Pour encor te voir
    Donne-moi la richesse et la chance d'avoir

    L'ultime embrassade
    Cet amour qui brade
    Tout diamant tout métal au plaisir de l'aubade

    Aubade

     


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  • Toi ma beauté, acérée
    Comme la pointe d'une flèche de curare
    Toi mon amour, entourée
    Par les miroirs sans un éclat de mes espoirs

    Je ne t'adore pas comme une simple idole
    Devant laquelle je mettrais un pied à terre
    Sois plutôt digne de ma vénération folle
    Telle un joyau drapé des plus pures ténèbres

    Une colombe noire, un ciel nocturne et grand
    Le glas du sens commun, perdu dans tes yeux sombres
    Je sais que face à toi je ne pourrais que rompre
    Sous le poids de mon cœur qui vit en te voyant

    Charme gracile et fort, fumée de cigarette
    Requiem de la haine, détruite en ta belle âme
    Je sens que je vivrai toujours le même drame
    De n'oser dévoiler ces passions secrètes.

    Lucides



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  • Le souffle glisse entre les arbres
    Et sur ma peau, les rues sont vides
    On n'entend rien d'autre qu'un vent
    Qui va sifflant et angoissant
    Il fait sur l'eau d'étranges rides
    Sur mes yeux un dessin macabre

    Même en visant vers tous les cieux
    Un frisson court le long des villes
    Il n'est plus rien qui ne m'effraie
    Dans cette épave abandonnée
    Ce macchabée aux rues tranquilles
    Ne portant que moi en son creux

    Je ne suis plus homme à présent
    Assez ; je chante avec le vent. 

    Keep the streets empty for me.


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  • Redouter le dormeur qui hante les nuages
    Dans sa fin de torpeur en naufrage

    Se bâtir un abri de larmes et de pluie
    Quand l'orage menace d'un cri

    Et encore avoir peur des monstres et du noir
    Quand il donne des coups de battoir

    T'écouter te blottir dans mes bras grands ouverts
    Et te sentir trembler au tonnerre

    Te guider peu à peu de la lumière au son
    Apprivoiser les coups de canon

    Te donner à l'odeur de l'herbe à l'éclaircie
    Une fois le dormeur assoupi

    Et désirer à deux un orage éternel
    Bénis par la noirceur du ciel.


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  • Il régnait dans la nuit un froid qui prenait aux os. La respiration, que ce soit celle d'un humain ou d'un chat, reflétait la lumière cuivrée des lampadaires dans une brume dorée. Le long des maisons, il semblait même à Victor que ces vestiges de souffle avaient trahi un renard qui maintenant fuyait tranquillement vers les buissons les plus proches. Mais ce n'était peut-être qu'une histoire qu'il s'était montée pour s'occuper. On entendait plus loin les basses d'une fête qui se tenait à une rue de là, et Victor se rendit compte qu'il en avait chapardé une bouteille mourante de vodka. Il la porta à ses lèvres, même s'il était à peine conscient qu'il n'était qu'à quelques gorgées de sombrer dans les méandres dionysiaques des nuits sans souvenir. Il passait près d'un immeuble à appartements de la frontière entre Bruxelles et... oh, n'importe quel coin de champs pollués dont on ne retenait jamais bien la géographie, dans lequel vivait un ami à lui.

    C'était un jeune homme comme Victor, qui louait un deux-pièces avec l'aide de ses parents. Ce deux-pièces était un petit royaume dans lequel il écrivait à l'ancienne, sur une vieille machine à écrire. Avec les fêtes qu'il donnait quelques fois en petit comité avec un groupe composé de rats de bibliothèque, de matheux, d'intellos sur fond de grunge et de punk rock, cet appartement avait fini par devenir un ersatz de squat jonché de milliers de poèmes composés sur des feuilles à moitié jaunies, notamment le salon dans lequel n'importe quel groupe de musique rock des années 90 à 2000 aurait payé pour tourner un clip, surtout depuis que les murs commençaient à s'écailler.

    La lumière était allumée. Victor eut le talent de faire monter en son esprit embrouillé l'idée de monter chez lui. Après tout, la bouteille qu'il tenait encore à la main n'était pas si vide. Il traversa l'allée de gravier bordée de rosiers cadavériques en cette époque de l'année, et il était arrivé à mi-chemin de la porte quand une lampe s'alluma au rez-de-chaussée. Victor leva les yeux de ces pieds vers le regard inquisiteur du vieillard qui se tenait derrière sa fenêtre. 
    "Vous pourriez faire moins de bruit. Vous m'avez réveillé. Vous ne pouvez pas faire un peu attention à ceux qui vivent en commun avec votre ami ?" dit-il en appuyant bien sur le mot "ami".
    Victor le considéra attentivement, aussi attentivement que son regard torve et son intelligence pâteuse le permettait. Le vieux portait une chemise encore marquée de petites auréoles sous les aisselles, des bretelles noires qui soutenaient peut-être un pantalon, même si la hauteur de la fenêtre faisait imaginer à Victor des vêtements plus cocasses.
    "Vous ne dormiez pas. Vous êtes encore habillé de la journée.
    - Et vous, vous avez bu. C'est quoi ?
    - Foutez-moi la paix. Vous allez réveiller le quartier. Vieux con."

    Victor ne sonna pas à l'interphone ; il avait les clés. Maxime avait fini par en faire une doublure pour Victor, car il venait souvent gratter du papier chez lui. Il laissait d'ailleurs les poèmes qu'il venait d'écrire chez Maxime, ce qui  énervait ce dernier quand Victor ne signait pas ses œuvres. Il s'effondra à moitié dans l'ascenseur, s'y regarda dans la glace, scrutant ses yeux, examinant ses dents, comme s'il avait un rendez-vous. Quand l'ascenseur fut arrivé à destination, il se plaça devant la porte de l'engin et attendit que le déclic se fasse entendre, signal que la porte pouvait être poussée. Il franchit le couloir d'un pas trop certain, trop ample. Il frappa à la porte de l'appartement de Maxime. Il attendit trente, quarante secondes, et la tentation de porter à nouveau à ses lèvres la bouteille de vodka fut grande. Elle atteignit son paroxysme quand Maxime fit son apparition dans le chambranle de la porte. 

    "Salut. Je passais, et il paraît que je réveille le quartier. J'ai à boire.
    - C'est bon, rentre. De toute façon, j'aurais rien ce soir.
    - T'écrivais ?
    - Non."
    Maxime se tourna vers l'intérieur de l'appartement et dit à voix mi-haute, comme s'il avait voulu crier tout en préservant la paix du palier :
    "Tu peux te casser. Tu l'as dit, je te l'offre. La porte est ouverte."
     Sur ces mots, Victor entendit le bruit de vêtements qu'on fourre dans un sac dans une volée d'injures. L'instant d'après, une fille aux cheveux en queue de cheval, vêtue d'une veste sur un débardeur et d'un jean slim surgit du salon, un sac de voyage sur l'épaule. Elle bouscula Victor et se prépara à prendre les escaliers quand Maxime, qui était rentré dans son deux-pièces, sortit à nouveau avec une écharpe. 
    "Prends au moins ça, il gèle.
    - Va te faire foutre."
    Elle partit dans la seconde. On entendit la machinerie de l'ascenseur s'enclencher : elle avait appelé l'ascenseur d'en bas pour ne pas devoir attendre devant Maxime. Victor ne put s'empêcher de rire. Il rentra dans l'appartement, posa sa bouteille sur le sol et s'assit dans l'un des trois poufs du salon. Il prit une des feuilles qui traînaient par terre. Il lut avec difficulté, l'alcool n'étant toujours pas descendu, et lança à Maxime qui fermait la porte :
    "Il manque un pied à ton premier alexandrin, là."
    Maxime entra dans le salon d'un pas un peu hésitant, lut les premières lignes de la feuille qu'il avait arrachée des mains de Victor. 
    "Fais-moi voir ça. Hum."
    Il tendit la page à Victor.
    "Cet alexandrin est correct. En plus, on parle pas de pieds pour de la poésie en français. Et c'est ton poème. Et c'est de la merde.
    - Toujours un aussi bon critique, enfoiré. Passe-moi la bouteille."
    Victor but quelques gorgées et rendit la bouteille à Maxime qui l'acheva. Ce dernier se posa sur un autre pouf et regarda Victor, qui se fit à nouveau la réflexion ; Maxime était très beau. Il avait beaucoup maigri depuis le lycée, à un point qui faisait presque peur. Ses vêtements et ses cheveux libres de pousser à leur guise lui donnaient un air de hipster à tête d'ange. Tiens, d'ailleurs... 

    "Tu en as ?"
    Maxime traîna ses pas vers une armoire de laquelle il manquait plusieurs tiroirs, et en sortit quelques joints. Victor tira un briquet de sa poche. Quelques instants plus tard, une odeur entêtante avait envahi la pièce. 
    "Mec, dit Victor. Tu sais comme c'est chiant, cette sensation que tu as, tu vois, quand tu sais que ce que tu fais n'est qu'une immense pile de merde ? Attends, laisse-moi finir, fit-il quand il vit que Maxime voulait le couper. On n'arrête pas de tourner dans notre monde, d'écrire des milliers de poèmes à propos des mêmes conneries, et quand on s'intéresse à d'autres sujets que ceux qui dépassent notre nombril, c'est juste qu'on pense avoir fait le tour de ce qu'on connaît déjà. On n'est pas des vrais poètes. Si on avait une once de talent, on verrait mieux que les autres. Quand je parle avec des gens qui n'écrivent pas de poésie - tout le monde, quand j'y pense - je me rends compte qu'ils pigent mieux que moi. Tout. ils pigent tout mieux, putain ! Ça te donne juste envie de crever.
    - Envie de crever ? Tu déconnes ? Tu as déjà essayé ? dit-il d'un ton de mépris.
    - Quoi, toi tu as déjà essayé ?
    - Ouais.
    - Et ?
    - J'ai réussi. J'ai foiré, ducon. Mais j'ai un truc sympa, puisque t'es là. Tu vois le tas de feuilles de papier bloquées par des livres ? Enlève les livres. Bien. Maintenant, bouge les feuilles. La planche devrait se déloger si tu l'agrippes."
    Victor s'exécuta. Après avoir dégagé la petite planche, il trouva un revolver. 
    "Tire." 
    Victor ne comprenait pas. C'était une bonne soirée. Cela devrait la gâcher que de tuer son interlocuteur. Normalement.
    "Tire. On s'en fout. Il y aura des gens tristes. Il y en a toujours. J'ai envie de mourir, là, maintenant, je suis bien, avec toi. Tue-moi, je ne pourrais connaître de moment plus adéquat.
    - Maxime, on a des trucs à explorer quand même, des trucs à vivre...
    - Ta gueule ! Tu t'es entendu tout à l'heure ? On n'a rien à foutre dans ce monde ! On est trop, on est cons. Tire ! Tu es aussi lâche que tu es stupide ?"

    Victor tira une gigantesque bouffée, s'étrangla presque en toussant, visa, les yeux brouillés par la fumée, les larmes et la colère. Il tira. 

    Baissant la tête, il acheva de tousser. Sa gorge brûlait. Une fois sa vue redevenue normale, il contempla son œuvre. Maxime gisait sur le sol, la tête complètement éclatée. Le sol était couvert de de feuilles de papier, les feuilles de papier étaient constellées de sang. Victor sentait qu'il aurait dû avoir la nausée, mais il était encore trop ivre. Il se mit à réfléchir. Cela ne servait à rien de s'enfuir. Le vieux con du rez-de-chaussée, la fille que Maxime avait chassée, ces deux-là l'avaient vu venir chez lui. Il y aurait ses empreintes sur l'arme, la bouteille, les joints... Personne ne comprendrait. Victor saisit alors. Personne ne comprendrait. Non seulement sa version serait absurde, mais en plus personne ne lui trouverait de raison. Tout était arrivé si vite, tout s'était passé sans qu'il ait réfléchi, il avait maintenant le temps de toute une vie pour saisir ce moment, pour y penser longuement. Il avait en lui un élément que personne ne capterait, qui lui appartenait. Si on le comprenait un jour, ce serait après des années d'exégèse de ses poèmes. Il paierait pour cela, bien sûr, mais c'était un prix qu'en ce moment il se sentait prêt à payer. Il jeta un regard plein de reconnaissance et d'alcool à la dépouille de Maxime, et ramassa son poème, maintenant maculé de sang. Il concentra le plus possible son attention sur ce bout de papier et sortit dans un dernier effort : 
    "Finalement, c'est pas si mal..."
    Il s'évanouit sur le sol encore tiède, alors que le jour était sur le point de poindre, terrible et ignorant.

     


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  • Le ciel a repris son voile azur
    Le plus léger le plus enivrant
    La pluie ne succède plus au vent
    Reste une senteur de pourriture

    Il n'y a plus rien sur le béton
    Sur les kilomètres d'autoroutes
    La terre est morte sans aucun doute
    Le vent seul chantonne à l'horizon

    Les arbres sont de grandes dépouilles
    Quand ils ont échappé aux brasiers
    Sinistres cimetières d'osier
    Dans l'éternel automne de rouille

    Stèles communes à tous les hommes
    Les villes fanées jonchent le monde
    Ni voitures ni rages ne grondent
    Le vent seul chantonne un Te Deum

    Les gratte-ciel irritent le sol
    Effondrés qu'ils sont de solitude
    La vie n'a été qu'un interlude
    Un entracte ironique, assez drôle

    Durant lequel les humanités
    Les plus hautes valeurs du vivant
    Survivaient en s'entredéchirant
    Le vent seul chantonne un air léger

    S'il en restait à vivre en ce lieu
    Il manquerait plus que tout le reste
    De quoi combler ce silence leste
    Le chant des oiseaux plainte des dieux

    Les monstres mêmes sont morts de faim
    Plus de charognes à dévorer
    Ils dorment, cadavres essorés
    Le vent seul chantonne son refrain

    Les anges fatigués et lassés
    Sont remontés dans les cieux déserts
    Sont retournés à l'état d'éther
    Ne reste qu'une Terre cassée

    Entre deux bois que le temps ébarbe
    Une graine encor gorgée de vie
    Vole de la terre au fer terni
    Le vent seul ricane dans sa barbe.

    Le vent seul chantonne


    The Piano Guys - More than words
    © The Piano Guys



     


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  • Sur le cadavre de la ville
    Le monstre paît paisiblement
    Il se sustente sans souci
    On n'entend presque pas un bruit
    Seul celui du monstre mâchant
    Dans une ambiance trop tranquille

    Les champs sont vides les prairies
    Le souffle du vent se fait rare
    Les chevaux ont tous disparu
    Seuls, les amas de viande crue
    Écœureraient les charognards
    S'il en restait quelques scories

    Plus rien ne bouge à part le monstre
    Et achevant de se nourrir
    Il se relève et soudain feule
    Son cri résonne d'abord seul
    Puis on entend des pas courir
    Géants arrivent d'autres monstres.

     


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