• Tout pâle, usé, le temps submergé
    La ville des gabelleurs, des paillardises et des teinturières
    Distrait nonchalamment ses carrefours blanchis 
    Sur de très malheureuses églises vaincues d'une dame immortelle

    Quand soudain son époux fit ce nom chétif
    J'égaye dans un corsage qui chante et qui rit
    Mon avocat redit et se regarde ! Ou donc es-tu, ma marmouzelle ?
    Dors ! Tout mon âge enceint te glisse en ceignant

    À ces nuits le gabelleur  se lève de mignotises
    Si tu es jusqu'au profit d'amour
    Je te crois, porte-t-elle,  à supposer ta vêprée !

    Et misérable, elle se tut, regardant l'inquiet présent
    Ses simples satins par un brocant intérieur
    Et sa triste coiffe par un esmouchail de teinturier.

    Un gros cadeau à celui ou celle qui retrouve les quatres textes à l'origine de cette chimère !


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  • C'est assez incroyable de tomber sur des textes comme ça. Je veux dire, personne ne leur dit jamais rien, ou...? 

     

    A mon frère en prison

    Certains se targuent d'être au rang des Parnassiens
    Je ne suis qu'un enfant dont la mère insouciante
    Ne sentit que d'un peu passer l'âme naissante
    Et de ma rage si elle peut, à ces chiens
    Je leur ferai tous voir où ils peuvent la mettre
    Ne nous contentons pas seulement de paraître


    Même si lors devant le juge on comparaît
    Reste fort en prison, attends de mes nouvelles
    Chacun son tour, vengeance et revanche et la belle
    Tous ces moments de joie, où es-tu, frère d'armes ?
    Quand nous nous reverrons, douces seront les larmes
    Garde ta rage en toi, toi-même tu le sais


    Après le grand orage arrive le beau temps
    Après cette oubliette arrive le bon temps
    Reste fort, pas un jour nous n'oublions !
    A ton nom les esprits s'échauffent et le sang
    Ne fait qu'un tour et c'est la tristesse qu'on sent


    Injuste jugement ! La toge magistrale
    Sera bien imbibée d'une essence infernale
    Pour avoir condamné une erreur de jeunesse
    D'une peine cruelle et d'une main traîtresse.
    Yoooo


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  • Je n'ai pas composé ce poème, mais je l'ai trouvé bien beau (on peut apprécier la poésie religieuse en étant athée), alors je le partage ici. Son auteur l'a oublié dans un recueil de poésie qu'il a vendu à un libraire de la rue Mouffetard, et j'ai moi-même acheté ce livre. Voici donc le poème oublié :

     

    Si la croix fut plantée au milieu du Calvaire
    Evêque tu le sais la Grâce t'y cloua
    Tu connais le chemin, l'aridité des pierres
    Le sang mêlé de pleurs sur qui elle flua

    Tu domines la terre et le ciel de la terre
    Par ta douleur muette au sein de l'éternel
    Mystérieux lieu plus fort qu'une prière
    Colonne de lumière et brillant arc-en-ciel

    Jusqu'à Dieu lui portant l'offre de nos misères
    Et gardant le pêché des âmes toi l'austère
    Toi, le sage et le pur, foulé dans quel pressoir ?

    Et lorsque nous marchons aux routes trop amères
    Le coeur pesant trop lourd de peines solitaires
    Nous regardons vers toi pour conserver l'espoir

    Inconnu, date inconnue, Paris.


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  • Ici un blog réservé aux plus de 16 ans (et pour preuve, c'est le premier message adressé sur ce blog), avec des dessins en noir et blanc.

    Perso j'aime beaucoup, y a des idées charmantes, d'autres plus bizarres, mais c'est toujours intéressant.

    Le blog ici.


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  • Scène I

    Un vieil homme, très vieux, sur un banc, attendant le bus. Il tient un grand bouquet de fleurs. L'homme qui ne parle pas entre, côté cour. Il s'assied à côté du vieil homme, et s'occupe avec un livre.

     LE VIEIL HOMME

    Ah, bonjour, jeune homme. On va aux cours ? (l'homme opine) Ah, c'est bien, il faut profiter des études, c'est une chance d'en avoir. Vous avez fait du latin ? (l'homme acquiesce) Du grec ? (idem) C'est beau la jeunesse... Plein de choses en tête, cela fourmille. Que lisez-vous ? (l'homme lui montre son livre) C'est un philosophe, non ? (L'homme opine encore) Aaaah, c'est bien. (le vieil homme regarde vers le ciel, heureux) C'est bien.

    Entre une dame, côté cour. 


    LA DAME, condescendante.

    Eh ben ? Vous attendez le bus monsieur ? Mais ça sert à rien aujourd'hui, ils sont tous en grève ! Encore une agression, tout le monde est dans la rue, ils ont bloqué les avenues, ils manifestent même au centre ! C'est la folie ! 

    LE VIEIL HOMME

    La grève !

    LA DAME

    Ah bah oui, faut pas rester là, vous aller attraper la mo... la crè... vous allez attraper froid.

    La dame sort, côté jardin. 

    LE VIEIL HOMME

    Ah, ces grévistes ! On ne peut rien contre, monsieur, remarquez. Vous alliez en cours ? (l'homme opine) Allez, avec vos internets, vous allez bien trouver un camarade qui vous enverra ses notes ! Moi, j'allais au cimetière. Voir la femme de ma vie. Je n'ai jamais pu la marier, mais qu'est-ce que j'étais amoureux d'elle... J'en entends beaucoup à la radio, et dans les romans, qui disent que le grand amour ce n'est pas quelque chose qui existe, mais une... (il cherche le mot) une illusion. Eh bien non, moi je l'ai connu. Isabelle, c'était son nom, et je l'ai rencontrée, oh, quand j'étais plus jeune que vous. J'avais seize ans à l'époque, et j'étais un solide gaillard. Oh, rien à voir avec ce que je suis maintenant, hein ! Elle quittait l'école de jeunes filles, on n'avait pas encore les écoles mixtes à l'époque, mais bon, je ne pense pas que ça aurait changé grand chose. Donc, elle quittait l'école, j'en étais là ? Et alors la lanière de sa serviette a craqué, et toutes ses affaires ont volé sur le trottoir ! Elle était à deux doigts de pleurer, avec sa lèvre qui tremblait... Je ne sais pas ce qui m'a pris, mais j'ai couru à travers la rue, c'était la rue Belliard, vous savez, la grande rue parallèle à la rue de la Loi ? Et j'ai ramassé ses affaires. Là, nos yeux se sont croisés, et je n'oublierai jamais ce moment... (il s'arrête.) Enfin... Je ne vous dérange pas avec tout cela ? (l'homme nie.) Mais je ne me suis pas marié. On s'est fréquenté pendant trois ans, trois années pendant lesquelles j'étais fasciné par tout ce qu'elle me racontait, de sa vie, de ses cours... 

    Et la guerre a éclaté. Elle est partie en exil en Amérique, et la dernière fois que je l'ai vue, je l'ai encouragée à partir, la vie deviendrait beaucoup trop dure pour elle. Nous nous sommes dit au revoir comme dans tous ces films, moi en uniforme, tout juste mobilisé, elle avec son petit costume de voyage... Mais quand ses parents l'ont vue prendre mes mains, ils sont venus la récupérer tout de suite. Elle a continué ses études à New York, et m'a envoyé quelques lettres, mais je ne l'ai plus revue depuis. Oh à la fin de la guerre, elle est rentrée, bien sûr, mais elle avait rencontré un homme très savant, et elle l'avait épousé. Je me souviens de sa dernière lettre... "Jean", disait-elle, "Jean, tu dois me comprendre. Mes parents ne me laisseront pas épouser un homme qui n'a pas fait d'études. Je veux que tu saches que j'ai été très heureuse avec toi, mais je vais me marier. Je ne sais pas si on devrait se revoir... Je voudrais que l'on s'aime dans une autre vie."

    Mais vous voyez, jeune homme, il faut faire des études, faire son chemin dans la société. Si j'y avais pensé, (il pleure doucement) j'aurais appris le latin et le grec, et les mathématiques ! Isabelle est devenue professeur de latin, et elle me parlait tout le temps d'auteurs que je ne connaissais pas, et j'étais pendu à ses lèvres... (il se reprend) Quand elle est rentrée en Belgique, je n'ai pas tenté de la revoir, mais nous avions un ami commun qui me donnait de ses nouvelles ; elle a eu des enfants, elle a été très heureuse, et je suis content qu'elle ait eu la belle vie que je n'aurais pas su lui offrir ! Mais vous voyez monsieur, depuis le jour où j'ai su que je ne la marierai pas, je collectionne les pièces de monnaie où il est écrit du latin dessus, et j'achète des livres de latin, même si je n'y comprends rien... Il faut faire des études, monsieur, vous ne savez pas la chance que c'est. Enfin, maintenant il n'y a plus vraiment de règles pour se marier. On n'était peut-être pas nés à la bonne époque. Isabelle est morte en 1999, en décembre. Moi, je suis passé à l'an 2000, et même 2010, alors que je n'ai rien fait de bien grand, je suis resté ouvrier, je n'ai pas eu d'enfants, et je n'ai jamais cherché à me marier par la suite... Et en semaine, je vais au cimetière pour la voir... Quand je croise ses enfants et ses petits-enfants, je fais semblant de m'être trompé de tombe. Au moins ils ne font pas attention aux fleurs, je peux les laisser là sans problèmes. Allez, je crois que je vais rentrer. J'irai demain.

    Le vieil homme se lève, et commence à marcher péniblement. L'homme le regarde, et soudain se lève à son tour, et prend le bouquet des mains du vieillard, et marche au rythme de ce dernier. Noir.

    Scène II

    Un arrêt de bus. On entend le bus qui s'éloigne. L'homme qui ne parle pas entre côté cour. Il peste gestuellement. Une vieille dame arrive côté jardin, très lentement. Elle vérifie si le jeune homme est le seul à attendre le bus, toujours très lentement. Elle a peu de cheveux, tient une canne et un chapeau de la main droite.

    LA VIEILLE DAME

    Bonjour monsieur... Vous savez si le bus est déjà passé ? Je ne vois personne d'autre à l'arrêt de bus... Oui ? Oh. Voyez-vous, je me suis dépêchée, et j'ai du mal à mettre mon manteau assez vite. J'habite au coin de la rue, mais ce n'est pas facile de me lever à l'heure. Oh, je suis réveillée, mais c'est se lever. On n'a plus les os solides, et le corps ne répond plus aussi bien... Oh, mon chapeau est tombé.

    L'homme lève la main pour faire signe à la dame de ne pas se baisser, et ramasse le chapeau.

    Merci, monsieur, vous êtes bien aimable. J'ai bien du mal. Je ne devrais pas porter de chapeaux, mon coiffeur me l'a interdit parce que ça empêche les cheveux de pousser, mais j'ai grandi au Brésil, je ne faisais que porter des chapeaux là-bas. Vous connaissez Maurice Béjart ? Je l'ai rencontré alors que je prenais des cours de danse, et il était de passage à Rio. Nous faisions la leçon, et il nous regardait... La leçon se terminait toujours par des improvisations, et quand j'ai eu terminé la mienne, Maurice Béjart est venu vers moi. Il m'a dit alors qu'il était impressionné par ma performance, et qu'il voulait m'avoir dans son ballet en Belgique. Pour moi qui venais de Belgique, c'était incroyable d'être repérée par un maître du ballet belge en suivant des études au Brésil... J'avais 14 ans à l'époque. Je lui ai alors proposé d'attendre le chauffeur de mon père (mon père avait un chauffeur, et cela donnait un grand standing au Brésil). Oh, quel plaisir j'ai eu quand mes parents ont parlé à Maurice Béjart ! Ah, notre bus arrive, enfin...

    On entend le bus arriver, représenté par une foule de gens qui marchent tout serrés. Les deux s'insèrent dans la foule. 

    Donc, où en étais-je ? Oui, Maurice Béjart était alors venu avec moi chez mes parents. Mon père lui disait qu'il savait que j'avais le talent pour jouer avec les professionnels... Je me souviens de chaque mot de cette conversation, même si cela fait soixante ans qu'elle a eu lieu... Que j'étais heureuse ! Un an plus tard, je suis rentrée en Belgique, et j'ai rejoint le ballet de Maurice Béjart. Cela a été la plus belle période de ma vie. Je vous bassine avec tout ça, non ? (signe de dénégation) Non ? Vous êtes adorable. J'ai dansé, dansé, j'ai appris le chant aussi, j'étais la femme la plus heureuse du monde, et même quand il a été temps de quitter le ballet, je continuais à danser et à chanter. Je m'étais mariée, et j'apprenais à mes enfants à danser.

    Et puis un jour, j'ai eu une rupture d'anévrisme. 

    Quand je suis sortie de l'hôpital, j'ai appris que je ne pourrais plus jamais danser. Je pouvais à peine bouger, mais j'étais tellement en colère que j'ai tout jeté à la poubelle, mes partitions, les affiches des spectacles que j'avais donné, toute ma correspondance reliée à la danse, même les lettres de Maurice Béjart... Ce n'est que quand j'ai voulu lancer mes chaussures de danse que ma fille s'est interposée et m'a dit non, maman, tu peux tout balancer si tu veux, mais garde ce souvenir. Vous descendez ici, monsieur ? Je descends ici aussi. Je me souviens de tout ce que j'ai jeté, monsieur, je ne retiens plus beaucoup parce que je suis vieille, mais je me souviens des affiches, des partitions, du contenu des lettres de Maurice Béjart que je connaissais par coeur. Je me souviens de la douleur le lendemain, quand j'ai vu que j'avais détruit tout ce que la maladie avait épargné. Je vois plein de gens parler de la fin du monde, monsieur, mais j'ai vécu la fin de ma vie, et j'aurais préféré la fin du monde.

    Ils quittent le bus qui repart en coulisses. On installe un banc discrètement.

    J'espère que je ne vous ai pas trop embêté avec mon histoire... Bonne journée, monsieur, moi, je vais au tram, vous prenez le métro sans doute ? (l'homme opine) Oui ? Nous nous recroiserons sans doute... Merci, cela m'a fait plaisir de parler avec vous aussi. Au revoir.

    La femme quitte la scène côté cour, toujours lentement. L'homme reste un instant, s'asseoit, et met son visage dans ses mains. Noir.

     Scène III

    L'intérieur d'un bus. L'homme qui ne parle pas est assis. Arrive une jeune femme, en tenue de jardinage, qui s'assied sur un siège en vis-à-vis du jeune homme. 


    LA JEUNE FEMME, l'air fatigué mais enjoué.


    Bonjour m'sieur ! (l'homme lui sourit) Il fait froid aujourd'hui, hein ? Moi je travaille en extérieur, et le matin c'est dur de travailler dehors ! Mais y a pas beaucoup de gens dans le bus, c'est chouette pour parler. Je travaille dans les jardins, c'est pour ça que je suis habillée comme ça. Vous connaissez la Serre Magique ? Eh bien je vais prendre les instructions au bureau de la commune, puis je rejoins Michel, Michel c'est un autre jardinier, il a une voiture alors il me dépose là où je dois travailler. 

    Un temps.

    Vous êtes pas un bavard, vous, hein ? (l'homme lui sourit et hausse les épaules) Je vous embête pas, au moins ? (l'homme hoche la tête en signe de dénégation). Vous êtes gentil. Y a pas beaucoup de gens avec qui on peut parler comme ça, souvent les gens me tournent le dos. A part avec Michel, je parle pas vraiment avec les autres au boulot, et pour mon patron, un jour je suis arrivée avec un quart d'heure de retard à cause des travaux sur l'avenue Orban, et il m'a renvoyée chez moi et je n'ai pas été payée ce jour-là. Depuis, je prends le bus une heure plus tôt au cas où. C'est pas correct, non, de renvoyer quelqu'un parce qu'il est en retard, non ? (l'homme approuve) Enfin bon, c'est pas comme si j'avais quelqu'un, je m'occupe de ma maman en rentrant, et j'ai pas trop le temps pour faire autre chose... Je pense que c'est votre arrêt, là, non ?

    L'homme acquiesce, se lève, la salue de la tête et commence à sortir du bus.

    Attendez ! Vous ne voulez pas m'accompagner jusqu'à mon arrêt ? Il y a un autre bus qui vous amène plus loin sur la ligne de métro là-bas... J'aimerais juste un peu parler, si ça ne vous dérange pas ? 

    L'homme hésite, pendant que le chauffeur et les navetteurs commencent à protester. Il tourne les talons et regagne sa place.

    Merci. Je peux vous tutoyer ? T'es gentil, toi. Je te vois pas souvent à cette heure-ci, tu es parti en avance ? (l'homme opine) Ah, c'est vraiment sympathique de ta part de rester avec moi, ne t'en fais pas, il n'y a que quatre arrêts jusque mon travail, et puis comme ça je te présente Michel s'il est en avance aussi, et puis si tu as le temps un de ces jours, on peut prendre un café aux galeries du métro...

    Noir.

    Scène IV

    Le vieil homme, la vieille femme, et la jeune femme des scènes précédentes attendent le bus. Ils se regardent l'un l'autre, mais jamais réciproquement. Noir.

    Scène V

    L'homme qui ne parle pas entre côté cour. On devine au décor que les trois autres se trouvent plus loin, côté jardin. Il les remarque, et hésite à les rejoindre. 


    L'HOMME, en soufflant.

    Oh et puis merde. J'y vais à pied.

    RIDEAU 


     


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  • Un arrêt de bus. On entend le bus qui s'éloigne. Un jeune homme entre côté cour. Il peste silencieusement. Une vieille dame arrive côté jardin, très lentement. Elle vérifie si le jeune homme est le seul à attendre le bus, toujours très lentement. Elle a peu de cheveux, tient une canne et un chapeau de la main droite. Pour le dialogue qui va suivre, l'homme ne communiquera que par signes.

    LA VIEILLE DAME

    Bonjour monsieur... Vous savez si le bus est déjà passé ? Je ne vois personne d'autre à l'arrêt de bus... Oui ? Oh. Voyez-vous, je me suis dépêchée, et j'ai du mal à mettre mon manteau assez vite. J'habite au coin de la rue, mais ce n'est pas facile de me lever à l'heure. Oh, je suis réveillée, mais c'est se lever. On n'a plus les os solides, et le corps ne répond plus aussi bien... Oh, mon chapeau est tombé. (l'homme lève la main pour faire signe à la dame de ne pas se baisser, et ramasse le chapeau) Merci, monsieur, vous êtes bien aimable. J'ai bien du mal. Je ne devrais pas porter de chapeaux, mon coiffeur me l'a interdit parce que ça empêche les cheveux de pousser, mais j'ai grandi au Brésil, je ne faisais que porter des chapeaux là-bas. Vous connaissez Maurice Béjart ? Je l'ai rencontré alors que je prenais des cours de danse, et il était de passage à Rio. Nous faisions la leçon, et il nous regardait... La leçon se terminait toujours par des improvisations, et quand j'ai eu terminé la mienne, Maurice Béjart est venu vers moi. Il m'a dit alors qu'il était impressionné par ma performance, et qu'il voulait m'avoir dans son ballet en Belgique. Pour moi qui venais de Belgique, c'était incroyable d'être repérée par un maître du ballet belge en suivant des études au Brésil... J'avais 14 ans à l'époque. Je lui ai alors proposé d'attendre le chauffeur de mon père (mon père avait un chauffeur, et cela donnait un grand standing au Brésil). Oh, quel plaisir j'ai eu quand mes parents ont parlé à Maurice Béjart ! Ah, notre bus arrive, enfin...

    On entend le bus arriver, représenté par une foule de gens qui marchent tout serrés. Les deux s'insèrent dans la foule. 

    Donc, où en étais-je ? Oui, Maurice Béjart était alors venu avec moi chez mes parents. Mon père lui disait qu'il savait que j'avais le talent pour jouer avec les professionnels... Je me souviens de chaque mot de cette conversation, même si cela fait soixante ans qu'elle a eu lieu... Que j'étais heureuse ! Un an plus tard, je suis rentrée en Belgique, et j'ai rejoint le ballet de Maurice Béjart. Cela a été la plus belle période de ma vie. Je vous bassine avec tout ça, non ? (signe de dénégation) Non ? Vous êtes adorable. J'ai dansé, dansé, j'ai appris le chant aussi, j'étais la femme la plus heureuse du monde, et même quand il a été temps de quitter le ballet, je continuais à danser et à chanter. Je m'étais mariée, et j'apprenais à mes enfants à danser.

    Et puis un jour, j'ai eu une rupture d'anévrisme. 

    Quand je suis sortie de l'hôpital, j'ai appris que je ne pourrais plus jamais danser. Je pouvais à peine bouger, mais j'étais tellement en colère que j'ai tout jeté à la poubelle, mes partitions, les affiches des spectacles que j'avais donné, toute ma correspondance reliée à la danse, même les lettres de Maurice Béjart... Ce n'est que quand j'ai voulu lancer mes chaussures de danse que ma fille s'est interposée et m'a dit non, maman, tu peux tout balancer si tu veux, mais garde ce souvenir. Vous descendez ici, monsieur ? Je descends ici aussi. Je me souviens de tout ce que j'ai jeté, monsieur, je ne retiens plus beaucoup parce que je suis vieille, mais je me souviens des affiches, des partitions, du contenu des lettres de Maurice Béjart que je connaissais par coeur. Je me souviens de la douleur le lendemain, quand j'ai vu que j'avais détruit tout ce que la maladie avait épargné. Je vois plein de gens parler de la fin du monde, monsieur, mais j'ai vécu la fin de ma vie, et j'aurais préféré la fin du monde.

    Ils quittent le bus qui repart en coulisses. On installe un banc discrètement.

    J'espère que je ne vous ai pas trop embêté avec mon histoire... Bonne journée, monsieur, moi, je vais au tram, vous prenez le métro sans doute ? (l'homme opine) Oui ? Nous nous recroiserons sans doute... Merci, cela m'a fait plaisir de parler avec vous aussi. Au revoir.

    La femme quitte la scène côté cour, toujours lentement. L'homme reste un instant, s'asseoit, et met son visage dans ses mains. Noir.

    A la dame qui partagea un trajet et le récit de sa vie avec moi.


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  • Vous qui prenez de vos parents depuis la tombe
    Vous qui nous dévoilez vos belles vérités
    Apocalyptisant : « Monde périclité ! »
    Vous qui cachez vos peurs sous un air de colombe

    Vous qui au moindre vent bringuebalez en trombes
    Vos calicots, vos tracts pour la sécurité
    Vos arguments profonds, vos intuitions butées
    Et comme des pigeons votre torse se bombe

    La bouche en cul de poule et le cœur en amande
    Vous professez l'idée, cette impression meurtrière
    Que les autres amours ne sont pas aussi grandes

    Vous prenez les enfants, otages de vos dires
    Pour l'adulte empêcher. Gardez donc vos prières
    Pour les dames choquées et pour les tristes sires.

    Ecrit à Paris, le 18 novembre 2012.


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