• Je ne vais pas prétendre à la pédagogie, mais je vais juste donner quelques petits conseils pour lire (et écrire) en poésie de manière à restituer ce que l'auteur veut donner. 

    Premier conseil : les E muets

    Il est naturel, dans le langage oral, d'éluder les e muets, parce que... parce que bon. Cependant, en poésie, les e muets se lisent toujours (où presque). Ainsi, le poème suivant :

    Massive lenteur, lenteur martelée
    Humaine lenteur, lenteur débattue
    Déserte lenteur, reviens sur tes feux
    Sublime lenteur, monte de l'amour

    La chouette est de retour.

    René CHAR, Le baiser

    se lit de cette manière : 

    Massive lenteur, lenteur martelée
    Humaine lenteur, lenteur débattue
    Déserte lenteur, reviens sur tes feux
    Sublime lenteur, monte de l'amour

    La chouette est de retour.

    Attention cependant, les e muets ne se prononcent pas s'ils se trouvent en fin de vers. 

    Il est toujours possible de ne pas devoir prononcer le muet, et pour ce faire l'auteur se doit idéalement de procéder à la figure de style de l'élision, proche de l'apocope qui consiste à supprimer le dernier phonème d'un mot (la suppression d'un phonème  en général est un métaplasme, c'est magnifique tous ces mots savants oh la la.). 

    Exemple dans ces vers : 

    On le prépare en calcinant
    Le potassiqu'chlorate 

     Alphonse ALLAIS,  Chronique scientifique

    Dans ce cas, ce qui devrait se lire "Le potassique chlorate" se lira comme on le dirait normalement à l'oral. 

    La place des muets peut, notamment dans l'alexandrin, faire l'objet de critiques : on l'évitera aux syllabes 6, 7 et 12 s'ils ne sont pas élidés (même si on peut retrouver ces petites libertés à partir des poètes du Parnasse).

    Deuxième conseil : la synérèse et la diérèse

    Mais, peste diable boufre, comment que je dois lire les vers avecque des mots comme "passion", "miaulement", "pion" ?

    Cette question est assez compliquée, et dans la poésie, il faut y voir au cas par cas, selon la métrique. Dans certains poèmes, l'utilisation de la diérèse (prononciation en deux syllabes) semble évidente, et pourtant...

    Sacrilège meurtrier, si l'on pend un voleur
    Pour piller un butin de bien peu de valeur

    RONSARD, Ode contre les bûcherons de  la forêt de Gastine

    Ici, si l'on fait le compte, pour tenir dans un alexandrin, "meurtrier" doit se lire non en trois, mais en deux syllabes. Assez inconfortable à dire à haute voix, n'est-ce pas ? 

    Si on veut être tout à fait correct, il faut se fier à l'étymologie des mots pour faire le choix de la diérèse ou de la synérèse (prononciation en une syllabe). Ainsi "lier" (du latin ligare) se prononce-t-il en deux syllabes, usuellement. Mais l'auteur peut quand même faire le choix de la synérèse par licence poétique.

    Troisième conseil : la métrique

    Tout poète digne de ce nom ne pose pas simplement le flot de sa pensée tel quel sur le papier (à moins qu'il ou elle ne pense en alexandrins, et dans ce cas je m'attache ses services). Pour opérer une certaine musique, un rythme doit être donné au texte, et (en poésie française du moins) ce rythme se crée par la métrique. 

    Pour un novice, il n'est pas facile de déterminer du premier coup d'oeil la métrique qui gouverne sur le poème, et ce pour plusieurs raisons :

    Le nombre de syllabes par vers peut changer ;

    La raison du plus fort est toujours la meilleure
    Nous l'allons montrer tout à l'heure

    Jean DE LA FONTAINELe Loup et l'Agneau


    Le nombre de syllabes n'est pas forcément pair ;

    De la Musique avant toute chose
    Et pour cela préfère l'Impair

    Paul VERLAINE, L'Art poétique

    Et pour finir, il faut tenir compte de la présence des muets, de la diérèse et de la synérèse, et de petites choses en plus qui ne me viennent pas à l'esprit en ce moment. 

    Bien sûr, certains poètes modernes, sous couvert de se libérer de la métrique, proposent des vers kilométriques. Chacun son truc. Je ne juge pas. 

    ...

    Mais on a la prose pour cela.

    ...

    J'ai dit que je jugeais pas. Les vers peuvent être libres, c'est-à-dire qu'ils ont une longueur libre ou indéterminée. Ils peuvent être aussi être blancs, autrement dit, ils seront rythmés mais ne rimeront pas.


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  • Un autre petit problème auquel se heurtent beaucoup de gens à la lecture de la poésie : comment lire un vers en profitant de sa musique ? Comment séparer les temps du vers, et, lors de la déclamation, où placer les respirations ?

    Conseil unique : les temps

    Un vers se divise en temps : plutôt que de lire le vers d'un trait, il faut marquer des temps. 

    Sur le cadavre de la ville
    Le monstre paît paisiblement
    Il se sustente sans souci
    On n'entend presque pas un bruit

    Dans ces vers d'un de mes poèmes (inédit, comment je me la pète, mouhahaha.) nous sommes face à des octosyllabes qui suivent un schéma 4/4 : on lit ces vers en mettant l'accent tonique sur les quatrième et derniers vers. Cependant, ces vers ne sont pas confortables (ce qui explique pourquoi ce poème est inédit). Pourquoi ? Relisons-les en marquant bien les temps.

    Sur le cada-vre de la ville
    Le monstre paît - paisiblement
    Il se sustent-e sans souci
    On n'entend pres-que pas un bruit

     L'inconfort ici vient du fait que je n'ai pas accordé assez d'importance aux temps : ils arrivent trois fois sur quatre dans le milieu du mot, et la moitié d'octosyllabe qui reste débute alors sur un e muet : à éviter quand on écrit de la poésie ! Prenons d'autres vers, mieux découpés :

    La place était pleine de monde
    Les religieux partout priant
    Et les athées  vides de science
    Vénéraient dans leur ignorance

     Dans ces vers, toujours de moi (décidément, je me lance des fleurs aujourd'hui), les accents tonique arrivent en fin de mots, et les moitiés de vers commencent sur des syllabes "pleines". C'est parfait, l'équilibre du monde est restauré, et l'économie internationale ne s'en porte que mieux.

    On découpe, disais-je, souvent le vers en deux parties égales. Mais en est-il toujours ainsi, bonsangdeboisai-je à mon propre encontre, car je suis très virulent envers moi-même. Non ; les décasyllabes sont classiquement découpés en deux hémistiches (moitié de vers, le mot me revient seulement maintenant, j'a honte) de 4 et 6 syllabes respectivement. De plus, il serait malaisé de séparer un heptasyllabe (7 syllabes) ou un ennéasyllabe (11 syllabes) en deux parts égales...

    La question des alexandrins fait l'objet de plus de subtilité. En effet, composé de 12 syllabes, il est divisible à l'envi, et, en séparant le vers en deux hémistiches égaux, donne ces combinaisons :

    3/3/3/3
    2/4/3/3
    4/2/3/3
    Et ainsi de suite.

    Pourquoi quatre temps, alors que je parle d'hémistiches ? Parce que l'alexandrin est un vers long, et il faut prendre son temps pour le lire. D'où la plus grande division.

    Depuis le XIXe siècle, on peut également diviser l'alexandrin en trois temps de 4 syllabes. On parle alors d'alexandrin ternaire, ou romantique. 

    Je ne m'étendrai cependant pas plus sur le sujet, peut-être que j'y reviendrai plus tard. 

    Résumons :

    Au niveau de la lecture, il est important de prendre son temps, premièrement pour déterminer où placer l'accent dans le vers, deuxièmement pour lire le vers correctement, en ne donnant pas trop d'importance aux syllabes "muettes", sans les ignorer cependant. 
    Au niveau de l'écriture, il faut tenir compte des temps lors de la composition d'un poème, pour le rendre agréable à lire.

    Petite précision : dans la poésie contemporaine, la tendance étant au vers libre, les auteurs sont fort enclins à passer à la ligne plutôt que de mettre es temps précis. La longueur du vers devient alors une expression selon le style de l'auteur (comme le faisait La Fontaine, à la différence que celui-ci utilisait des vers réguliers). 

     

    Oui, j'aime bien taper sur la poésie moderne. 

     

    P.S. Je ne suis pas dans les meilleures conditions d'écriture en ce moment, j'améliorerai sans doute ce petit aide-lecture dans les jours qui viennent.

     


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